La RSE est-elle pertinente pour l'actionnaire ?

Avec la persistance et l’approfondissement de la crise économique, la responsabilité sociale* est écartelée entre deux logiques. 

La première est positive et résulte du débat qui s’est engagé sur l’avenir du capitalisme : nos modèles économiques et sociaux doivent être radicalement repensés et les problématiques de durabilité** sont probablement centrales dans la rénovation qui s’annonce. La seconde est négative : si la solution de nos problèmes ne peut venir que de la croissance, il est essentiel de donner la priorité à la compétitivité de nos entreprises et donc de s’assurer que les investissements sont rentables et, qu’ils le soient très vite.

Pour être légitime, le développement durable ne peut échapper à une logique de rentabilité. Or, d’un point de vue actionnarial, le dossier n’est pas pleinement convaincant. Heureusement, valeur financière et valeur durable ne sont pas aussi antinomiques que l’on croit. Leur réconciliation passe par une intégration plus claire du développement durable dans la stratégie des entreprises et dans leur communication.

Du point de vue des actionnaires le développement durable n’est pas pleinement convaincant.

Certes, des avancées considérables ont été accomplies:

Mais les analyses qui ont été effectuées sur l’impact de la performance ESG sur la performance financière ne sont pas totalement conclusives, et les interprétations sur le sens de la relation divergent : est-ce la performance ESG qui permet la performance actionnariale ? Est-ce l’inverse ? Ou bien, y a-t-il une synergie entre les deux ?

Dans une étude (People and profits? The search for a link between a company’s social and financial performance), portant sur 95 études empiriques réalisées entre 1972 et 2001, Margolis and Walsh écrivent :

“When treated as an independent variable, corporate social performance is found to have a positive relationship to financial performance in 42 studies (53%), no relationship in 19 studies (24%), a negative relationship in 4 studies (5%), and a mixed relationship in 15 studies (19%)”.

Dans une recherche (Does it pay to be good) publiée ultérieurement, les mêmes auteurs concluent que l’impact de la performance sociale sur la performance financière est positif mais faible.

Selon une étude réalisée par l’Edhec en 2008,

« on ne dispose actuellement pas d’une base suffisamment solide pour pouvoir conclure que l’ISR génère une surperformance ».

Selon cette étude, la rentabilité de l’ISR ne semble pas supérieure à celle du marché. De janvier 2002 à décembre 2007, les rentabilités des indices ISR pour la France (5,82%), la zone Euro (6%) et l’Europe (4,71%) sont inférieurs à ceux de l’indice SBF 250 (8,89%), au DJ Euro Stoxx (8,17%) et au DJ Stoxx (6,93%). Seul la rentabilité d’indice ISR Monde dépasse le MSCI World et ce, malgré un risque comparable ou supérieur.

Enfin, la tenue du débat n’est pas rassurante pour les actionnaires. Une approche antagoniste domine : les intérêts des actionnaires sont opposés à ceux des parties prenantes (voir par exemple le livre de Lynn Stout : The Shareholder Value Myth: How Putting Shareholders First Harms Investors, Corporations, and the Public). La dissociation apparente des enjeux est illustrée par l’existence d’un rapport de développement durable physiquement séparé de celui du rapport financier. En outre, les adeptes de développement durable n’offrent pas de solutions claires pour rendre les arbitrages qui découlent nécessairement des conflits entre les différents intérêts. Ce défaut est d’autant plus apparent que l’idéologie actionnariale s’est, elle, construite autour d’un concept très facile à mettre en œuvre : la valeur actuelle nette des projets d’investissement (Voir l'article de Jensen : Value Maximization, Stakeholder Theory, and the Corporate Objective Function). Enfin, les motivations d’une politique de développement durable apparaissent peu claires et souvent déconnectés de tout objectif de performance ou d’efficacité.

Les entreprises semblent incapables de démontrer de manière convaincante que la durabilité est bonne pour la performance actionnariale. Pourtant, le cadre intellectuel des investisseurs est tout à fait compatible avec celui de la RSE car ils prennent leurs décisions essentiellement en fonction d’informations non financières sur le long terme.

N'en déplaise aux tenants du mythe du "short termism", la valeur boursière d’une entreprise dépend avant tout des attentes à long terme des investisseurs. Selon Associés en Finance, depuis 2005, la part de la capitalisation boursière représentée par les 10 premières années de flux de trésorerie actionnaires s’élève en moyenne à 64%. Il y a donc 36% de cette valeur qui est attendue au delà de 10ans. Baruch Lev pour sa part montre que seule la moitié de la valeur des entreprises est explicable par leur situation nette et le résultat estimé de la première année. Il en conclue que l’autre moitié est expliquée par des facteurs à long terme (voir Winning Investors Over: Surprising Truths About Honesty, Earnings Guidance, and Other Ways to Boost Your Stock Price). Enfin, comme le montrent les modèles d’évaluation financière classique, la valeur totale d’une entreprise repose très largement sur sa valeur terminale.

Pour déterminer la valeur à long terme, les investisseurs ne disposent pas de données financières. Ils font des paris sur la trajectoire stratégique de l’entreprise sur la base des promesses du management (voir le livre de Pierre Noël Giraud : Le Commerce des promesses : Petit traité sur la finance moderne). Deux éléments sont essentiels à cet égard :

• D’une part, la capacité de l’entreprise à créer et maintenir des avantages compétitifs à long terme (Voir Competitive Advantage: Creating and Sustaining Superior Performance de Michael Porter). Un avantage compétitif, c’est la possibilité de pouvoir dégager une rentabilité supérieure au coût du capital sur son actif économique (Voir mon article : "La création de valeur dans une économie connectée" paru en septembre 1998 dans la Revue Analyse Financière).

• D’autre part, la solidité du business model (Voir Do Some Business Models Perform Better than Others? A Study of the 1000 Largest US Firms de Weill, Malone, D’Urso, Herman et Woerner), son adaptabilité, sa capacité à tirer parti le plus intelligemment possible de son écosystème (tant il est vrai que le développement des entreprises passe par une perméabilité croissante de ses frontières avec des partenaires dans une logique de « coopétition »).

Cette approche est confirmée par une étude récente (A paraître) de KPMG Corporate Finance sur les crises de confiance boursières qui se manifestent par des décrochages brusques du cours de bourse par rapport à l’indice. Ces chutes brutales s’expliquent majoritairement par des éléments liés à la trajectoire stratégique à long terme où à des dysfonctionnements graves dans l’exécution stratégique qui conduisent les investisseurs à réviser leurs attentes à long terme.

Pour construire leurs attentes, les investisseurs doivent dépasser un cadre d’information suranné (voir par exemple l’analyse du FRC : Louder than words) : l’information délivrée aujourd’hui est complexe, technique, jargonnesque. Elle est aussi trop volumineuse pour être utile : elle privilégie la quantité à la qualité et la pertinence. Elle est inadaptée aux besoins car elle est essentiellement historique et financière et ne traduit que très imparfaitement la valeur des actifs intangibles. Enfin, elle est fragmentée entre financier et développement durable sans qu’à aucun moment une tentative de rapprochement ne soit faite.

Pour être légitime d’un point de vue actionnarial, la RSE doit donc être intégrée dans la stratégie opérationnelle de l’entreprise et dans sa communication financière.

Il faut repenser l’autonomie de la politique de développement durable en en faisant un réel volet de la stratégie. Dans le cadre du plan stratégique, le management doit identifier les impacts de la chaîne de valeur de l’entreprise sur les communautés ou ses partenaires (voir Strategy and Society, The Link Between Competitive Advantage and Corporate Social Responsibility de Michael Porter and Mark Kramer, HBR Décembre 2006). De manière symétrique, il doit analyser quelles sont les influences, positives ou négatives auxquelles l’entreprise peut être soumises ou dont elle peut bénéficier.

Sur cette base, les entreprises doivent définir les politiques ou les initiatives qui contribuent le plus fortement aux avantages compétitifs qu’elles veulent créer, ou qui sont les plus protectrices de leur business model. Un travail de cette nature doit aboutir à la sélection d’un nombre réduit d’initiatives qui pourront être différentes d’une unité stratégique à l’autre, en fonction de leurs caractéristiques stratégiques ou de leur localisation. Les mesures de performance à mettre en place ne peuvent donc pas être génériques. Les volontés de standardisation ou de normalisation de ces mesures sont louables mais peu opérationnelles dans cette vision.

Créer une valeur durable (ou une valeur partagée –« shared value »- pour reprendre l’expression de Michael Porter ) n’est pas suffisant pour avoir un impact positif sur le cours de bourse. Encore faut-il le faire savoir. L’Integrated reporting est un concept très prometteur de ce point de vue. Fruit d’une initiative conjointedu GRI et de « Accounting for Sustainability », il vise à présenter au marché, sous une forme synthétique, la façon dont l’entreprise compte créer de la valeur sur le long terme (Voir le Discussion Paper de l'IIRC, ‘Towards Integrating Reporting – Communicating Value in the 21st Century). Ses promoteurs invitent les dirigeants à présenter leur business model, les risques potentiels majeurs auquel il fait face, les stratégies envisagées pour les gérer, la stratégie de développement du capital économique et humain, les objectifs à court, moyen et long terme, les liens entre les mesures de performance non financières et la valeur (Voir le livre « The landscape of integrated reporting, reflections and next steps).

La mise en place du reporting intégré est vertueuse car elle oblige les entreprises à être claires sur leur stratégie et les caractéristiques de leur business model 

Avant donc que d'écrire, apprenez à penser.
Selon que notre idée est plus ou moins obscure,
L'expression la suit, ou moins nette, ou plus pure.
Ce que l'on conçoit bien s'énonce clairement,
Et les mots pour le dire arrivent aisément.

(Nicolas Boileau)

La RSE est une idée prometteuse à condition de l’intégrer dans le paquet de promesses que fait le management à ses investisseurs actuels et futurs. Mais, à l’inverse de la politique, en économie, il vaut mieux tenir ses promesses … le réalisme, le pragmatisme et l’honnêteté sont les conditions de la survie et de la prospérité.

* Le terme responsabilité sociale des entreprises (RSE) est définie par la Commission Européenne comme « a concept whereby companies integrate social and environmental concerns in their business opérations and in their interaction with their stakeholders on a voluntary basis »

** Le concept de développement durable fait l’objet de nombreux débats sémantiques depuis le rapport Brundtland. Il n’est pas très éloigné de celui de RSE surtout lorsqu’il s’applique à l’économie et les deux expressions seront utilisées de manière équivalente tout au long de cet article

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