Le mirage des "bonnes" pratiques : elles ne sont pas forcément le signe d'une bonne gouvernance

Comment expliquer que malgré la prolifération des codes de bonne gouvernance, la pression des organismes professionnels et des firmes de proxy pour leur adoption, l’attention croissante du législateur et des régulateurs (voir ICIICI et ICI) quant à leur application, les organes de direction de grandes institutions financières se soient montrées si incompétentes ou impuissantes durant la crise que nous venons de traverser ?

La raison profonde de cette situation doit plus être recherchée dans la dynamique humaine des conseils que dans leur organisation, leurs processus de travail ou leur composition. C’est le point de vue de Simon Wang, un des dirigeants de « Governance for Owners, résumé dans McKinsey Quaterly de juin 2011 (Board : When best pratice isn’t enough ) et développé dans un papier que l’on trouvera sur le site de SSRN (Elevating Board Performance: The Significance of Director Mindset, Operating Context, and Other Behavioral and Functional Considerations).

Quels sont les éléments clés qui permettent d’avoir une bonne dynamique humaine ? Wong en identifie six :

1. les administrateurs doivent se comporter comme des propriétaires.

On parle actuellement beaucoup de l’engagement des actionnaires. Il faudrait surtout que ce soit les administrateurs qui s’engagent ! Nous l’écrivions dans le vade-mecum de l’administrateur : « il ne serait pas sain de rejoindre un conseil dans le seul but d’en retirer des satisfactions personnelles. En effet, ces motivations doivent être dépassées par l’ambition de mettre ses compétences et son expérience au service de l’entreprise. Il s’agit d’une condition indispensable pour développer une véritable affectio societatis au cours du temps » . Pour développer cette passion pour l’entreprise dont on est administrateur, il faut probablement dépasser la conception actuelle du rôle d’administrateur contrôleur pour adopter une démarche d’administrateur-conseil (voir mon post La gouvernance : réducteur de risque ou facteur de progrès ?, évolution qui dans bien des cas devrait se traduire par des performances meilleures pour l’entreprise (voir «  The costs of intense board monitoring »). Cela suppose que l’administrateur soit impliqué dans les choix stratégiques et le contrôle des risques, et qu’il n’hésite pas à exprimer ses désaccords avec le management

2. Les administrateurs doivent connaître réellement, intimement leur entreprise.

Cela n’est pas facile car ils ne s’y rendent que de manière épisodique et n’ont généralement pas accès aux niveaux inférieurs de la hiérarchie. Les informations qui leur sont délivrées ont été longuement préparées avec un objectif, celui de recueillir leur accord. Donc l’information venant de l’exécutif n’est forcément pas objective ! Une stratégie d’acquisition de l’information pertinente doit être mise en place. On trouvera dans le chapitre 2 du « Vade mecum de l’administrateur » un certain nombre de conseils pour optimiser cette recherche.

3. Les administrateurs doivent être prêts à « retrousser leurs manches ».

La plupart d’entre eux voient leur rôle comme celui d’un contrôleur distant qui ne doit (ou ne peut) se concentrer que sur les processus. Dans bien des cas, ils partent du principe que s’intéresser au fond serait non seulement une immixtion dans le management opérationnel, mais aussi une gageure tant les questions à traiter peuvent être complexes. Un exemple récent de cet état d’esprit nous est fourni à l’occasion de la mise en place les nouvelles dispositions réglementant les compétences des comités d’audit. La loi prévoit que ceux-ci sont chargés d’ « assurer le suivi de l’efficacité des systèmes de contrôle interne ». Tous les groupes de travail de place qui se sont penchés sur les modalités pratiques de ces dispositions ont soigneusement limité les pouvoirs des comités pour éviter qu’ils ne prennent des initiatives sur le fond des choses (voir mon post « pour l’AMF, le comité d’audit porte bien son nom »).

Soyons clairs : les administrateurs ne peuvent pas être pertinents sans travailler beaucoup et s’intéresser bien souvent aux détails des problématiques qu’ils sont amenés à traiter. Si de nombreux domaines doivent incontestablement demeurer sous l’autorité des dirigeants, certains doivent donner lieu à une implication renforcée des administrateurs : la stratégie, la maîtrise des risques, la sélection et la rémunération des dirigeants, le dialogue avec les investisseurs. Cela conduit naturellement à poser la question de la rémunération qu’ils sont en droit d’attendre d’un tel engagement et celle, plus difficile, du cumul des mandats (car on voit mal comment on peut s’impliquer sérieusement lorsque l’on est administrateur de plusieurs sociétés cotées).

4. Le CEO doit être animé d’un esprit collaboratif à l’égard de son conseil.

Trop souvent, le dirigeant va avoir tendance à manipuler ce dernier en tirant parti de l’asymétrie d’information dont il bénéficie. Souvent inconsciente, cette pratique est justifiée (non sans une certaine mauvaise foi) par des arguments de confidentialité ou de compétence. Les administrateurs doivent donc choisir un CEO ouvert, transparent et soucieux de leur permettre d’apporter toute leur valeur ajoutée. Cet esprit collaboratif sera d’autant plus facile à atteindre qu’ils se montreront engagés aux cotés des dirigeants (voir le point précédent).

5. Le conseil doit défendre son autorité et son indépendance.

Le danger se présente au fur et à mesure où le succès du dirigeant augmente. La stature du CEO peut devenir intimidante pour beaucoup d’administrateurs et donc les conduire à être moins vigilants et/ou moins résolus dans leurs critiques. Et, pour sa part, le CEO peut progressivement penser que ses administrateurs ne sont pas à la hauteur et qu’ils n’ont pas la connaissance suffisante pour prétendre intervenir dans les choix majeurs de l’entreprise. Pour Wang, le lead director ou l’administrateur référent ne sont pas des réponses adaptées. Un véritable président du conseil, distinct et plus expérimenté que le Directeur Général, permet un véritable équilibre et peut donner plus d’assurance aux autres administrateurs.

6. Enfin, le conseil doit mieux s’organiser pour travailler sur ce qui est prioritaire.

Ce point est plus organisationnel que comportemental. On se rapportera au vade-mecum de l’administrateur pour une description des méthodes et techniques qui permettent à l’administrateur de remplir ses fonctions avec toute l’efficacité attendue.

Wong propose donc aux conseils une véritable révolution intellectuelle et comportementale. Les règles du « comply or explain » sont devenues trop formalistes pour être efficaces. Leur respect ne signifie nullement une bonne gouvernance. Il faut admettre que ce qui se mesure bien n’est pas forcément révélateur de ce qui est bien. Les rapports qui présentent des statistiques sur l’indépendance des administrateurs, le nombre de réunions et l’âge du capitaine sont intéressants, mais ne nous apprennent rien sur l’efficacité de la gouvernance.

De nouveaux indicateurs restent à découvrir .

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